
Provisions déductibles malgré un bien d’agrément lié
Dans une décision récente, le Conseil d’État est venu rappeler les limites d’application de l’article 39, 4 du Code général des impôts (CGI), qui interdit la déduction des charges liées à l’acquisition ou à l’entretien de résidences de plaisance ou d’agrément. Contrairement à ce qu’avait estimé l’administration fiscale, ces dispositions ne remettent pas automatiquement en cause la possibilité pour une société de comptabiliser des provisions relatives à sa participation dans une autre société exploitant un tel bien.
Le contexte du litige
Une société civile soumise à l’impôt sur les sociétés détenait la moitié des parts d’une SCEA (Société civile d’exploitation agricole), dont l’objet était la gestion d’un vaste domaine de plus de 55 hectares. Ce domaine jouxtait la résidence personnelle du dirigeant de la société civile et de l’autre associée de la SCEA. L’administration fiscale a considéré que la SCEA n’avait pas de véritable activité économique, et qu’elle servait en réalité à mettre à disposition de ses associés un domaine de loisir.
Partant de ce constat, l’administration a appliqué l’article 39, 4 du CGI, qui interdit de déduire fiscalement les dépenses engagées en lien avec un bien d’agrément, pour refuser à la société civile la déduction :
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d’une provision pour dépréciation de la valeur de sa participation dans la SCEA,
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ainsi que d’une provision pour créances douteuses correspondant à des avances en compte courant consenties à cette dernière.
Une application trop large de l’article 39, 4
La Cour administrative d’appel avait donné raison à l’administration, estimant que la société civile ne pouvait pas déduire ces provisions, au motif que la SCEA avait été créée pour offrir à ses associés un cadre de vie personnel assimilable à une résidence de plaisance.
Mais le Conseil d’État a annulé cette décision. Il a rappelé que si l’article 39, 4 du CGI empêche effectivement la déduction des charges relatives à un bien d’agrément (achat, location, entretien…), il ne concerne que ces charges-là, et ne s’étend pas aux règles de comptabilisation des provisions pour dépréciation ou pour pertes sur créances.
Autrement dit, une société qui subit une perte de valeur sur sa participation dans une autre structure, même si celle-ci est liée à un bien d’agrément, peut légalement constater cette perte en comptabilité, sauf s’il y a abus de droit, ce que l’administration n’avait pas démontré dans cette affaire.
Une décision importante pour la sécurité juridique des sociétés
Ce jugement apporte une clarification bienvenue : le fait qu’une société dans laquelle on a investi gère un domaine à usage privé n’empêche pas, en soi, de constater une provision si la valeur de cet investissement diminue ou si des créances deviennent incertaines. Il faut pour cela que les conditions classiques de comptabilisation des provisions soient réunies, sans que l’on ait à appliquer automatiquement l’interdiction prévue à l’article 39, 4 du CGI.
En somme, le Conseil d’État rappelle ici qu’il ne faut pas confondre les dépenses non déductibles en lien direct avec un bien d’agrément, et les pertes économiques réelles qu’une société peut subir dans le cadre de ses participations.